J'ai toujours été nulle en histoire et en géographie. En tout cas, celles des livres scolaires. Effectivement, voyez-vous, il me faut vivre les choses pour qu'elles se fixent dans mon esprit. Autrement dit, ma capacité d'abstraction est quasiment inexistante. Dès lors, on conçoit bien qu'il peut être effectivement ardu de mémoriser les dates de batailles du 16e siècle ou le tracé des frontières de pays lointains. Les meilleurs profs peineront toujours à faire « vivre » à leurs élèves la bataille de Waterloo ou à leur faire visualiser l'immensité de la muraille de Chine sur une feuille de papier.
Ce sont pourtant ces mêmes feuilles de papier, mais remplies cette fois-ci des mots d'écrivains de talent qui me permettent d'appréhender le monde. À travers des personnages plus vrais que nature, je me glisse dans des contrées éloignées en des temps révolus et je suis au beau milieu de l'action, de sensations et de questionnements qui laissent en moi des traces indélébiles. Je deviens alors excellente en histoire et géographie ! Si seulement j'avais eu conscience de cela lors des mes courtes études !!! Mais bon, mieux vaut tard que jamais comme on dit souvent.
C'est au Congo, au moment où il hésitait à s'appeler Zaïre, que la grande Barbara Kingsolver m'a emportée dernièrement. J'ai découvert l'horreur des actes de barbarie commis à cette époque en même temps que le talent de cette écrivaine à décrire avec minutie et humanité des moments troubles et incompris (ou volontairement oubliés?) du reste du monde.
Aux côtés des quatre filles Price, de leur parents et des habitants de Kilanga, j'ai appris mes leçons à propos de Patrice Lumumba, de Mobutu, de Léopold II, de la malaria et des « mains coupées ».
Je sors transformée de cette lecture, encore plus consciente qu'avant de l'aberrante volonté de domination de nations sur d'autres, du risible et destructeur désir « d'éduquer » certains peuples jugés inférieurs par d'autres qui se croient supérieurs, du mensonge véhiculé par les images renvoyées par de soi-disant observateurs.
Tout dans ce livre mérite l'attention du lecteur jusqu'à son titre. Pensant qu'il s'agissait d'un clin d'oeil à la nature grandiose de l'Afrique, j'ai appris qu'il faisait plutôt référence à ces yeux que les membres d'une religion ont sans cesse l'impression d'avoir sur eux, même au milieu de la jungle, ces yeux dans les arbres qui ont tout de ceux d'un Big Brother.
Je n'oublierai jamais cette lecture, je n'oublierai jamais cette leçon. Je relirai assurément Kingsolver dont on me dit dans mon entourage que ce livre-ci est son plus mauvais !!!! Mazette, que seront les autres ?!?!?!
Par le passé, certains autres livres m'avaient ainsi servi de professeurs d'histoire et géographie. Parmi eux, nommons :
*Catfish de Maurice Pommier au sujet de l'esclavage aux États-Unis;
*Le temps où nous chantions de Richard Powers concernant le mouvement des droits civique aux États-Unis;
*Après la mousson de Selina Sen qui nous fait revivre l'assassinat d'Indira Gandhi en 1984 à New Delhi;
Et tant d'autres encore...
L'écriture de ce billet a fait naître en moi une petite question qui depuis me trotte en tête... les écrivains étant des profs... en mieux, ne devraient-ils pas être rémunérés comme tels ?